Derrière le drame des glaciers qui fondent, la vie renaît : un nouvel enjeu pour la biodiversité
Si la fonte des glaciers est un drame écologique et sociétal majeur, elle révèle une réalité inattendue : la naissance de nouveaux écosystèmes sur les terres libérées. Lacs, zones humides et forêts en devenir représentent un enjeu crucial pour la biodiversité mondiale, offrant de nouvelles zones sauvages à protéger d'urgence face aux pressions humaines et aux risques naturels.
L'UNESCO et l'Organisation Météorologique Mondiale (OMM) ont officiellement lancé 2025 comme l'Année Internationale de la préservation des glaciers, marquant une étape cruciale dans les efforts mondiaux pour protéger cette ressource essentielle dont dépendent plus de deux milliards de personnes.
Chaque année, les glaciers du monde reculent un peu plus, emportant avec eux notre capacité à réguler le climat et à nourrir la vie.
Derrière cette perte immense, une urgence : sauver les derniers glaciers, mais aussi préserver les terres vierges qu’ils dévoilent.
Zoom sur ces territoires nouvellement formés :

La perte des glaciers : un drame écologique mais aussi sociétal
Les glaciers jouent un rôle clé pour l'environnement
Régulation du climat : Ils réfléchissent la lumière solaire (via l’albédo) et contribuent à refroidir la planète.
Réserve d’eau douce : Ils stockent près de 70 % de l’eau douce mondiale.
Régulation du cycle de l’eau : Ils alimentent durablement rivières, nappes phréatiques et zones humides.
Soutien à la biodiversité : Ils créent et entretiennent des écosystèmes uniques et essentiels.
Indicateurs du changement climatique : Leur recul rapide révèle l’accélération du réchauffement planétaire.
Et pour les humains ?
Les glaciers nous sont indispensables.
Ils assurent l'accès à l'eau potable, soutiennent l'agriculture, protègent contre les risques climatiques et événements extrêmes, et participent à de nombreuses activités économiques locales.
Depuis son apparition, Homo sapiens a toujours vécu dans un monde où existaient des glaciers.
Nous sommes nés, nous nous sommes adaptés, et nous avons prospéré dans un climat rythmé par leur présence.
À aucun moment de son histoire, l’humanité n’a connu une planète totalement privée de glaciers.
Leur importance va même bien au-delà : si tous les glaciers fondaient, le niveau des océans s'élèverait de 66 mètres.
https://www.youtube.com/watch?v=OZC3-GQFNPA
Un symbole brutal du changement climatique
Sans doute avez-vous vu passer ce post viral de Duncan et Helen Porter.
Ils ont pris la première photo sur le glacier du Rhône en août 2009, et la seconde en août 2024, soit seulement 15 ans d’écart.

La fonte des glaciers, symbole brutal du changement climatique, n'est plus une menace lointaine : elle est en cours.
Depuis l’an 2000, les glaciers du globe ont perdu 5 % de leur volume initial, soit 273 milliards de tonnes de glace par an — l’équivalent de trois piscines olympiques par seconde.
En 2022 et 2023, les pertes de masse glaciaire ont atteint des niveaux records, notamment dans les Alpes et les Pyrénées, où 40 % du volume glaciaire s’est déjà évanoui en moins de 25 ans.
Selon une étude publiée dans Nature (Bosson et al., 2023), jusqu'à la moitié des glaciers mondiaux pourraient disparaître d'ici 2100, même en limitant le réchauffement à +1,5 °C.
Dans les Alpes françaises, deux tiers de la surface glaciaire pourraient disparaître.
Sous la glace, de nouveaux écosystèmes émergent
Derrière ce constat dramatique, un phénomène méconnu émerge : la naissance de nouveaux écosystèmes.
À mesure que les glaciers reculent, ils libèrent :
Des terres où pourront se développer pelouses, landes et forêts,
Des lacs et zones humides d’eau douce,
Des fjords et lagons sur les littoraux.

D'ici 2100, entre 50 000 et 230 000 nouveaux lacs pourraient apparaître à l’échelle mondiale, dont jusqu’à 900 dans les Alpes.
Nous assistons à l’émergence de "l’ère des lacs" : un avenir où les zones humides deviendront essentielles pour la biodiversité et le stockage de carbone.
Quelle que soit l’issue du réchauffement climatique, préserver cette ère devient une nécessité.
Trois vertus majeures de ces écosystèmes postglaciaires
Stockage du carbone
Les forêts, sols vivants, lacs et zones humides issus du retrait glaciaire agissent comme de nouveaux puits de carbone.
Régulation du cycle de l’eau
Bien qu’ils ne remplacent pas totalement les glaciers, ces milieux permettent de retenir une partie de l’eau et d’en ralentir l’écoulement.
Réservoirs de biodiversité vierge
Ces terres libérées offrent parmi les dernières marges sauvages du globe, où une biodiversité originelle peut s’installer.
Terres émergentes : de nouveaux sanctuaires de biodiversité
À première vue, les terres libérées par les glaciers semblent stériles.
Pourtant, la vie colonise rapidement ces marges postglaciaires.

Francesco Ficetola (Université de Milan) rappelle qu’en seulement 80 à 100 ans après la disparition d’un glacier, des forêts entières peuvent apparaître.
Dès les premières années :
Bactéries et champignons investissent les roches nues,
Plantes pionnières comme le Saule de Lagger ou le Trèfle des rochers enrichissent les sols,
Mousses et vent favorisent la dispersion de la vie.
Dans le massif des Écrins, Cédric Dentant, botaniste, observe cette dynamique :
Les saules ralentissent l’eau,
Les trèfles fertilisent les moraines,
Les mousses créent des microclimats favorables.
Ces terres émergentes deviennent des sanctuaires uniques, où la biodiversité renaît sur des paysages encore jeunes.
Mais cette reconquête cache aussi des pertes : nombre d’espèces inféodées aux milieux glaciaires risquent de disparaître avant même d'être identifiées.
Protéger ces néo-terres, c’est préserver une biodiversité en plein surgissement.
La nécessité urgente de protéger ces nouveaux territoires
La fonte des glaciers expose les nouveaux écosystèmes à de multiples risques :
Risques naturels : écroulements rocheux, chutes de séracs, vidanges brutales de lacs cachés sous la glace.
Pressions humaines : tourisme intensif (stations de ski, remontées mécaniques), développement de barrages hydroélectriques et projets miniers.
Conséquences : fragilisation des écosystèmes naissants, perte de biodiversité, perturbation de l’albédo.
Aujourd'hui, moins de 50 % des glaciers mondiaux sont protégés.
En Europe et en Asie centrale, cette proportion tombe à 30 % ou moins.
Il est essentiel d'agir vite :
Sauver les glaciers tant qu’il est encore temps,
Laisser la nature évoluer librement dans les espaces libérés, sans exploitation intensive.
Les terres sauvages créées par le retrait des glaciers représentent une opportunité unique de laisser une nature primaire renaître.
Sensibiliser et mobiliser : l’exemple du Festival Agir pour les Glaciers
Le Festival Agir pour les Glaciers, organisé à Bourg-Saint-Maurice en mars 2025, a porté un message fort :
Protéger les glaciers, c’est aussi préparer l’avenir des nouveaux écosystèmes vierges.
À travers une communication visuelle engagée, des conférences scientifiques, des projections et des expositions immersives, l’événement a sensibilisé un large public à la nécessité d’une protection globale — celle des glaciers comme celle de l’ère des lacs.
Mais au-delà du constat, le festival a mis en avant plusieurs leviers d'action concrets :
Agir pour limiter le réchauffement climatique sous 1,5°C (ou du moins réduire l'ampleur du dépassement de toute urgence), en suivant la ligne de mire des Accords de Paris : chaque dixième de degré compte.
Faire reconnaître juridiquement les glaciers et les milieux postglaciaires comme des espaces naturels à sanctuariser, en mobilisant le droit de l'environnement et les droits de la nature.
Créer de nouvelles aires protégées dès aujourd'hui, dotées de moyens financiers et humains, et connectées entre elles pour préserver la continuité écologique.
Soutenir la recherche scientifique pour mieux comprendre et accompagner l’évolution de ces écosystèmes émergents.
Impliquer les citoyens et les territoires par la sensibilisation, la gouvernance collective et des projets concrets, comme la création de Conventions Territoriales pour les Glaciers, de fonds de dotation dédiés (ex : 1 % pour les Glaciers), ou encore de programmes d’écovolontariat local.
Protéger glaciers et néo-terres primaires n’est pas qu’une action globale : c’est aussi un engagement de terrain, porté par et pour les habitants des montagnes.
Conclusion
La disparition progressive des glaciers est une perte immense pour notre planète.
Mais dans leur retrait, la nature nous offre une dernière promesse : celle de nouveaux écosystèmes vierges, riches de vie et porteurs d'espoir.
Face à ce défi, nous avons un choix à faire :
Fermer les yeux et répéter les erreurs du passé,
Ou devenir les gardiens émerveillés de ces nouveaux mondes.
Protégeons ce qui naît sous nos yeux. Agissons pour les glaciers, pour la biodiversité, pour l'avenir.
Bibliographie
- Bosson, J.B., Huss, M., Cauvy-Fraunié, S., Clément, J.C., Costes, G., Fischer, M., Poulenard, J., & Arthaud, F. (2023). Future emergence of new ecosystems caused by glacial retreat. Nature, 620, 562–569. https://doi.org/10.1038/s41586-023-06302-2
- CNRS. (2025). Une analyse inédite révèle un déclin important des glaciers à l'échelle planétaire. https://www.cnrs.fr/fr/presse/une-analyse-inedite-revele-un-declin-important-des-glaciers-lechelle-planetaire
- Dargaud, S. (2025). Festival Agir pour les Glaciers, synthèse graphique. Behance. https://www.behance.net/gallery/221970801/Festival-Agir-pour-les-glaciers
- Marge Sauvage. (2025). Accueil, association visant à promouvoir des projets de connaissance et de protection des glaciers et des écosystèmes qui les succèdent. Marge Sauvage. https://margesauvage.org/
- UNESCO. (2025, 21 janvier). L’UNESCO et l’OMM lancent l’Année internationale de la préservation des glaciers 2025. https://www.unesco.org/fr/articles/lunesco-et-lomm-lancent-lannee-internationale-de-la-preservation-des-glaciers-2025
