3 % : c’est le pourcentage de la surface des continents, comprenant les zones polaires et les déserts inhabitables, qui restent inexploités par l’humain. Face à ce constat, le réensauvagement se place comme une nouvelle approche innovante de la conservation de la nature.

Le concept de réensauvagement
Né en Amérique du Nord sous le nom de “rewilding”, le réensauvagement a été introduit en Europe dans les années 1990 par des acteurs associatifs et non institutionnels essentiellement.
Bien que cette notion ne fasse pas l’objet d’une définition précise(1) unanime, car revêtant des caractéristiques différentes, elle peut être appréhendée comme une approche de conservation qui vise à restaurer les processus écologiques naturels, en réduisant l’intervention humaine. Cette non-gestion vise en effet à laisser cours aux dynamiques spontanées de la nature, permettant à celle-ci de retrouver un équilibre et ses fonctionnalités d’origine, c’est-à-dire avant que les activités humaines les impactent.
Cette approche, en prônant désinvestissement humain et autonomie de la nature, vient bousculer les principes de gestion traditionnelle(2) des écosystèmes selon lesquels l’Homme endossait un rôle de régulateur pilotant la biodiversité. En ce sens, certains auteurs parlent d’une éthique de “décolonisation de la nature”(3).
Ainsi, plutôt que de préserver des paysages figés, le réensauvagement vise à restaurer des espaces de libre évolution, permettant des connexions écologiques et le retour de la flore et la faune sauvage qui occupaient autrefois ces lieux (dans la mesure où elles y sont toujours adaptées dans le contexte actuel).
Si le réensauvagement vous intrigue : allez décourvir le film "Wilding – Le Retour à la nature sauvage", qui raconte l’histoire vraie d’un couple qui abandonne l’agriculture intensive pour laisser la nature reprendre ses droits. En arrachant les clôtures et en faisant confiance aux cycles naturels, ils assistent, émerveillés, au retour d’une biodiversité foisonnante. Ce projet du domaine de Knepp constitue l'une des plus importantes expériences de ré-ensauvagement en Europe !
Un magnifique et inspirant documentaire à découvrir au cinéma à partir du 10 septembre !
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EcoNature est partenaire de ce film documentaire, distribué en France par Jupiter Films
Le réensauvagement en pratique

Le réensauvagement revêt des caractéristiques différentes selon la nature des acteurs qui s’en saisissent, et les contextes (territoriaux et culturels notamment) dans lesquels il prend place.
En fonction du contexte écologique et des objectifs de conservation, plusieurs approches peuvent être mises en œuvre :
La libre évolution :
Certaines zones sont simplement laissées à elles-mêmes, sans intervention humaine. La nature y reprend progressivement ses droits, avec le retour spontané de certaines espèces. Un exemple notable en France est le retour du loup dans le parc national du Mercantour. Autrefois présent sur l’ensemble du territoire français, il avait été éradiqué au début du 20e siècle, sans disparaître toutefois d’Italie. Pourtant, au début des années 1990, le loup fait son retour dans le massif du Mercantour, notamment grâce à la déprise agricole permettant une augmentation des zones forestières, et de la présence d’ongulés sauvages dont il se nourrit.
Le retour de ces prédateurs joue un rôle clé dans le rétablissement d’écosystèmes fonctionnels. La naturaliste Béatrice Kremer-Cochet(4) souligne, par exemple, l’impact positif de la réintroduction des loups dans le parc de Yellowstone, aux États-Unis. En régulant la population de cervidés, ces derniers ont permis la régénération des arbres et arbustes, favorisant ainsi le retour des castors. Ce phénomène illustre parfaitement comment la réapparition d’une espèce peut en entraîner d’autres, favorisant une dynamique naturelle bénéfique à l’ensemble de l’écosystème.
Les réintroductions d'espèces :
Dans certains cas, des espèces disparues d'une région sont réintroduites afin de restaurer des chaînes écologiques perturbées. Bien qu’il s’agisse d’une intervention humaine, elle reste avant tout un levier initial pour rétablir les processus écologiques, avec pour objectif, à terme, de laisser place à la libre évolution des écosystèmes. C'est le cas du bouquetin ibérique dans les Pyrénées françaises, disparu en 1910 du fait sa grande vulnéraibilité à la chasse. Face à cela, un projet de réintroduction est considéré dès 1970, puis mis en œuvre à partir de 2010 dans le cadre d’une collaboration franco-espagnole-andorrane.
Quels espaces réensauvager ?
En dehors des Parcs nationaux aussi on peut observer plusieurs initiatives de réensauvagement en France, portées par des associations et des collectivités locales. L'Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS) est particulièrement active dans ce domaine. Depuis 2010, elle acquiert des terrains pour les transformer en "Réserves de Vie Sauvage". Ces réserves, comme celles du Vercors ou du Trégor, sont laissées en libre évolution, sans chasse, pêche ni exploitation forestière.
A l’échelle de l’Europe, une étude de 2024(5) indique que 117 millions d’hectares en Europe seraient propices au réensauvagement.
Jean-Baptiste Mihoub(6), enseignant-chercheur au Muséum national d’Histoire naturelle, explique que le réensauvagement devrait être envisagé partout : ”dans une zone commerciale, un cimetière, sur une ancienne terre agricole, au bord d’un cours d’eau ou dans une forêt qui a longtemps été exploitée intensivement”.
Le réensauvagement suscite néanmoins des débats, tant dans sa mise en œuvre – en raison de conflits d’intérêts ou d’usages entre les différents acteurs des territoires – que dans sa conception. En s’éloignant d’une vision anthropocentrée, certains expriment une crainte d’un détachement plus général entre l’Homme et la nature, alors même que l’objectif du réensauvagement est de bâtir un nouvel équilibre harmonieux. Par ailleurs, certaines récupérations du concept tendent à justifier une réduction des politiques de biodiversité ou un désengagement sous prétexte que la nature se régule d’elle-même. Or, loin d’encourager un tel désintérêt des enjeux de biodiversité, le réensauvagement vise au contraire à revitaliser et protéger la biodiversité par une approche renouvelée et dynamique.
Sources :
(1) : Lorimer, J., Sandom, C., Jepson, P., Doughty, C. E., Barua, M., & Kirby, K. J. (2015). Rewilding: Science, Practice, and Politics. Annual Review of Environment and Resources.
(2) : CORNERIER Ariane (2021), Le ré-ensauvagement en Europe comme nouvelle gestion conflictuelle de la nature
(3) : Schnitzler, A. (2014) – « Toward a New European wilderness: Embracing Unmanaged Forest Growth and the Decolonisation of Nature », Landscape and Urban Planning, vol. 126, pp. 74-80
(4) : Béatrice Kremer-Cochet et Gilbert Cochet, "L'Europe réensauvagée : Vers un nouveau monde" (Actes Sud, 2020)
(5) : Expanding European protected areas through rewilding: Current Biology
(6) : https://www.mnhn.fr/fr/qu-est-ce-que-le-reensauvagement
Pour en savoir plus :
-Introduction, réintroduction ou retour naturel ? | Parc national du Mercantour
-Bouquetin ibérique | Parc national des Pyrénées
-Le projet de réintroduction du bouquetin dans les Pyrénées | Bouquetin des Pyrénées
-What is rewilding? | Rewilding Europe
Des podcasts :
- Peut-on réensauvager la nature? - La terre au carré avec Gilbert Cochet et Aude Massiot
- Réensauvageons les fermes ! - CO2 Mon amour avec Sébastien Blache et maxime Zucca

